Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Tout est provisoire
9 janvier 2007

Requiem pour un Chef

Sur la porte du service de scanner était fixé une pancarte de lettres capitales noires sur fond doré, une plaque solennelle : « Ne pas déranger les médecins ». Nous entrons. « Hé, tu connais la différence entre Dieu et un médecin ? Dieu ne s’est jamais pris pour un médecin… ».

D’abord une salle avec des carrelages et des tableaux de néon où une jeune femme en blouse blanche rédige un compte-rendu, une radio accrochée à l’écran devant elle. Puis au bout d’un couloir d’autres blouses blanches sont assis devant six ou sept écrans plats disposés sur trois bureaux dans la pénombre, dictaphone en main, tripotant leurs souris pour naviguer dans les coupes. Nous posons nos affaires et attendons. Une vieille blouse blanche chauve finit par nous faire approcher d’un des écrans pour nous demander ce que nous en pensons. C’est une coupe des poumons, on distingue les vaisseaux du médiastin et le parenchyme pulmonaire. Qu’est-ce qu’on y voit ? Il y a quelques nodules, diffus oui, assez petits et irréguliers. Comme toujours il nous pousse vers les réponses. Au bout d’un moment il est temps de conclure, d’autant que ce n’est pas lui qui va s’occuper de nous, alors il lance Diagnostic ? C’est quoi, c’est des abcès ou…il sourit légèrement. Non bien sûr, ce ne sont pas des abcès, je vous dis ça pour que vous réagissiez. Cancer bien entendu, et là yen a partout regardez. Il fait des gestes amples, comme un pantomime. Ça vient du vagin. Ça, ou bien on l’enlève et c’est bon, ou bien il en reste et ploufploufplouf, ça en fout partout. Et là la chimio ça sert pas à grand-chose…Regardez, ploufploufplouf. Il nous sourit et puis s’en va.

Le chef arrive. Sa blouse est ouverte, sa chemise dans son pantalon noir avec sa ceinture en cuir et ses chaussures lustrées, flotte sur un ventre que l’on devine à sa taille, et le col de sa blouse n’est qu’à moitié relevé, signe qu’il a oublié de le remonter depuis qu’il a enfilé sa pelure ce matin. C’est un chef qui remonte ses cols de blouse. Il nous fait passer dans la petite salle attenante d’où l’on contrôle le scanner derrière une vitre, et il commence à se plaindre que les services ne comprennent pas qu’ils doivent s’occuper de tous les malades de l’hôpital et qu’il faut une logistique, que certains malades ne sont pas des urgences. Bon. Pendant ce temps le téléphone sonne. Il ne répond pas, et ça dure, un bruit qui casse les oreilles. Une infirmière arrive alors en courant d’installer un patient sur la table et répond. Sa petite voix l’interrompt : « C’est pour vous… ». Il prend le téléphone Vous voyez c’est la folie, et répond qu’il donne cours, qu’il ne peut pas faire deux choses en même temps. Quand il a raccroché il nous montre les brancards dans la salle d’attente : « Alors pour tout organiser il faut les rendez-vous, et puis vous voyez les malades sont sur des brancards…et les brancards ça se pousse pas tout seul. » Alors il se plaint des brancardiers. Le téléphone sonne et re-sonne, et plusieurs fois l’infirmière ou l’infirmier viendront répondre puis le lui passer. Derrière les autres blouses continuent dans la pénombre devant leurs écrans. Après il faut les interpréter les scanners, et on a une interne et un médecin qui s’occupent de ça. Un vieil homme entre dans la cabine. Le chef s’interrompt pour l’observer, Dis donc il est maigre lui ! Et ben… Il nous mène devant les consoles, sort un fichier au hasard et fait défiler le scanner. Vous voyez on peut calculer la taille, la densité, faire tous ces plans de coupe, et la reconstruction en relief, avec différentes fenêtres, oulà elle a une belle prothèse mammaire celle-là. Nous changeons d’ordinateur. Sur le bureau à gauche un médecin est assis avec un dictaphone. Il est seul et noir, sûrement un stagiaire. Le chef fonce et croise son bras devant lui pour attraper la souris : « Pardon mon ami ». L’autre se lève brusquement, manque de tomber, et lui laisse la place. Il restera longtemps debout, sans savoir quoi faire. Pendant qu’il fait défiler des images le chef parle aux autres sans les regarder, Vous en êtes où les bosseurs ? Haha. Il navigue un peu dans les cas, mais beaucoup ont été effacés et ça le met en colère. Il veut nous emmener dans une autre salle pou nous montrer une autre modalité, mais une malade ne veut pas prendre son traitement (injection ?). Il demande à l’infirmière s’il n’y a pas quelqu’un pour s’en occuper. Il cherche. Finalement il y va. Il revient et nous emmène dans la salle de conférence. Il allume un autre ordinateur, mais son téléphone sonne. Non madame, vous m’avez déjà appelé mais il faut appeler ma femme, c’est à elle la voiture, vous êtes de la Matmut c’est ça ? Je peux pas vous parler je suis en train de donner un cours à des étudiants madame, oui c’est ça au revoir. Il ouvre un programme et lance une exploration dans une reconstruction virtuelle de côlon, comme si un petit vaisseau spatial volait à l’intérieur. « C’est la Rolls Royce de l’imagerie ça ! ». Et puis pareil, densités, distances, etc…

Quand on rentre chercher nos affaires, il faut qu’il signe nos papiers. Les deux filles passent en premier : « Ah, les filles d’abord, c’est bien les garçons, z’êtes bien dressés, haha ! ».

Ce soir en rentrant chez moi un couple avec leur petit gamin m’ont croisé, et le gamin disait Moi j’aime pas aller chez le docteur.

Paris - 2006

 

Publicité
Commentaires
Tout est provisoire
Publicité
Archives
Publicité