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Tout est provisoire
13 octobre 2005

Miroir déformant

La chemise est bien boutonnée. Les lunettes à monture noire épaisse sont rangées, c'est la première fois que je le vois avec des lentilles.
Le cours va commencer et à la porte du haut je le croise, un tantinet nerveux, aussi agité qu'il le laisse transparaître. Il ne veut pas entrer tout de suite, préfère attendre le dernier moment pour descendre les marches devant tout le monde - Pourquoi ne suis-je pas entré par le bas? - quand il laissera entendre malgré lui qu'il est là, qu'il marquera malgré lui sa présence sérieuse, tout ça parce qu'il s'est trompé de porte. Légère maladresse.
La séance est courte, il termine avant l'heure. Des détails comme le libre accès aux diapos lui font gagner quelque sympathie de notre part, et ç'eût été autant d'attention qu'il aurait perdue s'il n'expliquait pas aussi limpidement, et que l'on ne se soit pas dit que Bon, l'oreille c'est simple, mais il explique bien quand même.

L'après-midi je le retrouve dans la petite salle aux crânes posés sur les tables. Il soulève légèrement ses épaules et masque un peu son cou, enfonçant sa tête vers le bas, la cachant: il a cette position des gens qui vivent discrètement. C'est donc pour cela que je lui trouvais de la sympathie. Je les découvre: ces regards qui se perdent presque imperceptiblement, ces yeux qui en réalité ne sont pas plus à l'affût qu'ils semblent fuir, ces bras aux mouvements lisses, ces petites maladresses qui le rendent aussi fragile que le quotidien. Quand il donnait son cours c'était simplement correct parce qu'il faisait son boulot, voilà tout...et pourtant je savais que je me trompais, que je mentais sur le simplement son boulot. C'est la distance qui veut ça, parce qu'il n'est pas vraiment parmi nous. Du mépris? Sûrement pas. Voilà: je suis plus indulgent avec lui qu'avec moi.
En rentrant, l'excitation quotidienne de retrouver mon piano. Est-ce que lui aussi, sous son air si bien taillé, ressent l'intensité de l'attente, de l'arrivée vers quelque chose ou quelqu'un dont l'absence pendant la journée esquisse l'amputation de sa vie?

Même si je me déforme en le déconstruisant, j'aime le voir parce qu'il m'apprend des choses sur les attitudes. Que pourrait-il en soupçonner lorsqu'il brandit devant moi tous ses os...

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Commentaires
G
Tant que ça s'arrête le soir...<br /> PS: merci
H
Mon rêve pour l'année prochaine : m'acheter un piano électrique pas trop nul... Je me rappelle, à l'hôpital, le piano noir de la salle de musicothérapie me reconciliait chaque jour avec la vie.<br /> <br /> Peut-être qu'il espère sans le dire, sans même y penser, et qu'il attend, attend... Lui aussi.
Tout est provisoire
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